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Par Muhamed R. ĆEMAN et Jasmin JAHIĆ – “Institut de Recherche, d’Education et de Dialogue Interculturel” (IREDI)
IREDI: Monsieur Fares, en octobre 2018, les représentants des musulmans de Luxembourg vous ont choisi pour exercer la fonction de chef de culte des musulmans au Grand-Duché. – Depuis lors, deux ans se sont écoulés, ce qui est, nous l’espérons, une période suffisamment longue pour résumer vos premières impressions. Que cela soit justement le point de départ de notre entretien. – Quelles impressions votre séjour actif au sein de la communauté musulmane de Luxembourg vous a-t-il laissées et quelles conclusions en tirez-vous ?
Dr. Rabie Fares: Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre interview et à saluer votre travail d’information et d’éducation au sein de la communauté musulmane du Grand-Duché de Luxembourg. Effectivement, après une période d’observation de 7 mois, je suis engagé maintenant depuis un peu plus d’un an, à temps plein en tant que Chef de culte et/ou Mufti au Grand-Duché de Luxembourg. Je remercie la Shoura et la communauté musulmane pour cette confiance. Je demande à Allah de nous soutenir et de nous aider à assumer notre rôle avec dignité, courage et responsabilité.
Précisons tout d’abord qu’il s’agit d’une création de fonction d’un poste nouveau donc, unique sur le paysage européen s’exerçant dans une organisation unie qui regroupe toutes les sensibilités musulmanes.
Mes premières impressions et conclusions peuvent être résumées dans les points suivants :
- Au Luxembourg, comparativement aux autres pays européens, la structuration du culte musulman et l’organisation de sa gestion en sont à leurs débuts. Nous avons une opportunité pour apprendre de nos voisins européens, en évitant leurs erreurs et en s’inspirant de leurs belles initiatives. D’autant plus, qu’au Luxembourg, après la reconnaissance de l’Islam, il existe un terrain fertile et stable pour instaurer une base commune solide, nécessaire à l’avenir des Musulmans du Grand-Duché.
- La Shoura, en tant qu’Assemblée de la communauté musulmane au Luxembourg est un acquis qu’il faut consolider, un atout à faire évoluer afin de pouvoir devenir une autorité administrative et religieuse forte. Toutefois, l’absence d’un siège social digne de ce nom et d’une mosquée centrale affaiblit la représentativité et donc la crédibilité du culte musulman. Il s’agit donc d’un défi urgent et majeur à relever dans un très proche avenir.
- L’Islam commence – à présent – à avoir sa place dans le paysage religieux luxembourgeois global. Auparavant, les autres cultes relevaient l’absence d’un interlocuteur musulman dans le dialogue interreligieux. La présence du Chef de culte musulman a pallié à cette carence et a permis de faire émerger une parole musulmane à la hauteur des enjeux sociétaux tant dans le rapport avec l’État qu’au niveau des relations avec les diverses autorités religieuses et politiques présentes sur le territoire national. Ma participation au sein du Conseil Conventionné des Cultes, la plus haute autorité religieuse du pays nous permet d’être un élément positif et constructif dans la prise des décisions concernant l’avenir du culte dans le pays.
- La présence de Waqf en tant qu’institution financière reconnue est un acquis pour financer des projets de grande envergure envisagés par la communauté musulmane. L’activité et le fonctionnement du culte musulman peuvent – par la mise en mouvement de ce dispositif – gagner en autonomie financière. La première expérience du financement des travaux des mosquées a montré l’utilité et l’efficacité de cette Fondation Waqf: plusieurs chantiers sont en cours d’élaboration, comme par exemple le projet de Zakat, qui permettra d’institutionnaliser et faire connaitre cet important pilier, le troisième de l’Islam.
- Concernant le paysage religieux musulman, chaque centre islamique a ses particularités, ses fidèles, sa spécificité socio-culturelle et sa sensibilité religieuse.
En ce sens, divers moyens pourraient être mis en œuvre, dont quatre principaux.
En premier lieu, il conviendrait d’apporter des axes d’amélioration concernant la coordination, le rapprochement des divers centres islamiques ainsi que davantage de travail collectif afin d’élaborer une stratégie commune et une synergie propice à l’enrichissement mutuel et l’approfondissement des domaines éducatifs et religieux.
En second lieu, un autre moyen à mettre en œuvre pourrait être d’impliquer davantage les jeunes adultes dans ce domaine de la gestion du culte.
En troisième lieu, il pourrait être porteur d’offrir des espaces dédiés à l’implication et à la prise de responsabilités des sœurs dans le domaine éducatif.
Enfin, davantage d’ouverture et de mixité culturelle au sein des Comités gestionnaires des mosquées pourrait constituer le reflet de l’Islam qui nous unit et nous réunit.
Je me réjouis de constater une considérable évolution dans ces domaines.
Pour finir avec cette première question de l’interview, je voudrais ajouter qu’il est nécessaire d’instaurer des collaborations officielles régulières avec les instances communales du pays dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de l’aumônerie. En ce sens, des contacts ont d’ores et déjà été établis pour élaborer des projets en commun.
Nombreux sont ceux qui, pour vous nommer, utilise le terme « mufti » ; or, votre titre officiel est « chef de culte ». – Pourriez-vous préciser, au début même de notre entretien, s’il s’agit, en l’occurrence, de synonymes courants ou bien s’il existe des différences essentielles entre les titres évoqués ? Parallèlement, pour nos lecteurs qui n’ont pas encore eu l’occasion de connaître les détails de vos activités, pourriez-vous avoir la gentillesse de nous présenter brièvement votre mission.
Le poste officiel tel qu’il est précisé dans la loi du conventionnement des différents cultes indique le titre « Chef de culte » pour désigner la fonction religieuse suprême en fonction de la spécificité de chaque culte. Ce terme est donc volontairement neutre ; cependant, la fonction varie en fonction des différents cultes.
Par exemple, pour le culte catholique, l’Archevêque est le représentant qui incarne cette fonction, tandis que pour le culte israélite c’est le Grand-Rabbin.
En ce qui concerne le fonctionnement du culte musulman, nous sommes plus proches de celui du Consistoire israélite dans la mesure où il y a un président élu avec un Comité de personnes responsables dits « laïques » issus des différents centres islamiques selon un règlement électoral qui ne cesse d’évoluer. Pour illustrer cet exemple, nous pouvons dire que la Shoura comme le consistoire gèrent le côté administratif et que le Grand-Rabbin et le Chef de Culte Musulman s’occupent quant à eux de l’aspect religieux et assurent un rôle de représentativité. La seule différence étant que la Shoura gère plusieurs centres islamiques, alors que le culte israélite a une synagogue centrale.
En ce qui concerne le culte musulman, la nomination ne change rien à la nature de la fonction : c’est culturellement que dans les pays des Balkans, en Turquie, Moyen-Orient, en Tunisie et en Libye, on parle de « Mufti », en référence de l’héritage ottoman. En Égypte, on utilise plutôt le terme « Grand-Imam », tout comme à Al Azhar et dans d’autres pays, on emploie le terme « Sheikh ».
Quant aux activités du Chef de culte, elles évoluent de jour en jour, en fonction de la demande et des besoins identifiés ou exprimés. A l’image d’un « couteau suisse » remplissant différentes fonctions, il faut être présent et réactif sur plusieurs fronts, en interne comme en externe. C’est un poste qui se réinvente au quotidien et qui prend des formes variées, en fonction des problématiques, des objectifs et des enjeux.
Les absences d’une mosquée centrale et d’un siège social pour abriter les travaux du Chef de culte sont d’une part un réel manque pour la visibilité de la communauté musulmane et sont d’autre part dommageable pour la réalisation de nos projets éducatifs, académiques et spirituels. C’est également pour cette raison que nos activités sont délocalisées et difficilement repérables par les fidèles ou les autres instances religieuses ou politiques.
Les temps de travail sont organisés en fonction des besoins et surtout des possibilités, les horaires sont donc variables, s’effectuent en poste de journée, de soirée ou de week end et requièrent une grande adaptabilité et disponibilité. Chaque action, évènement ou activité nécessitent une grande préparation sur tous les niveaux. Pour être aidé, il existe un contact quotidien avec notre secrétaire général, qui coordonne notre emploi du temps en interne et apporte une structuration concernant les tâches à accomplir par les différentes instances, ceci en concertation avec le Chef de culte pour ce qui relève de l’aspect théologique, législatif et spirituel :
- Shoura (réunions, projets d’intérêt général, communiqués externes, médiation, expertise et avis religieux, coordination des actions communes, etc…).
- Waqf (accompagnement religieux, conseils et expertise sur le Waqf, la Zakat. etc…)
- Centres islamiques (conférences, prêches, accompagnements éducatifs et religieux, méditation…).
- Imams (réunions, formation, coordination et concertation, travail en commun, etc…)
- Besoins des fidèles (avis religieux, conseils conjugaux et familiaux, médiations, sujets d’actualité …).
- Publication des articles, des prêches et des conférences, des interviews sur notre site et page FaceBook.
En externe, au niveau national et communal, le travail se fait sous forme de collaboration dans différents domaines essentiels :
- Centres d’enseignement et de recherche comme « LSRS » (Luxembourg School Religion & Society) : participation aux conférences publiques, rencontres académiques, séances de réflexion commune…etc.
- Aumônerie pour les Hôpitaux (Direction de l’Hôpital Robert Schuman des hôpitaux de Luxembourg) : projet de formation et accompagnement des malades et défunts musulmans, des familles, équipement de l’Hôpital, en matériel spécifique pour les rituels mortuaires musulmans, etc…
- Relation avec le Ministère de la santé (Gestion de la crise sanitaire liée au Covid) : élaboration d’un plan de dé-confinement présenté au Premier Ministre lors de la réunion avec les autres Chefs de culte, guide pratique théologique sur l’accompagnement des défunts et malades covid pour les personnels de la santé.
- Réunions périodiques avec le Conseil Conventionné des Culte (CCC) sur des projets communs : gestion du Covid, aumônerie, révision de la constitution, bilan…
- Relation avec le Ministère de Culte : réunion avec le Premier Ministre, Ministre des cultes, lors de la nomination et lors de la présentation du plan de déconfinement, échange sur des sujets importants (exposé des besoins en cimetière musulman, gestion de culte, etc..)
- Projets avec « respect/lu » : dans le domaine de la prévention de la radicalisation, en concertation et coordination avec l’aumônier de prison (projets et formation en cours d’élaboration).
- Participation au dialogue inter-religieux : Par exemple, la journée du Droit de l’homme, soutien au peuple rohningais …)
- Présence à divers évènements religieux (nomination des autorités religieuses, comme celle de l’Évêque, rencontres avec le Chef de culte Orthodoxe, le Cardinal et le Grand-Rabbin), culturels (projet Esch 2022), nationaux (Te Deum lors de la fête nationale, commémoration de la 2ème guerre mondiale…) et européens (participation aux colloques sur la formation des imams).
- Établissement de contacts avec les ambassades des pays musulmans pour faire connaître notre structure : rencontre avec les ambassades de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et de la Turquie …ainsi qu’avec les autorités religieuses d’autres pays (Bosnie, France, Allemagne, Belgique…) et diverses fondations (Allemagne, USA, etc.…).
De nombreuses personnes trouvent intéressant, voire inhabituel, le fait qu’en plus d’être hafiz du Coran, c’est-à-dire d’avoir appris le Coran par cœur, d’avoir des connaissances approfondies en sciences islamiques traditionnelles et d’avoir également une expérience professionnelle d’imam, vous êtes aussi docteur en psychologie et professeur d’université. – Pourriez-vous commenter comment s’opère en vous cette connexion des sciences religieuses aux sciences profanes ? – Dans quelle mesure le fait de posséder ce background d’éducation a-t-il facilité votre mission de chef de culte ?
J’ai eu la chance d’être conseillé et accompagné depuis mon enfance par mes professeurs et mes parents dans mes choix et décisions d’orientation. Il y a eu d’un côté les sciences religieuses pour former les futurs imams, enseignants et muftis et de l’autre côté les sciences profanes (mathématiques, sciences humaines). Il a été alors difficile d’imaginer un autre itinéraire depuis les réformes structurelles des programmes d’enseignement dans la voie de sécularisation de plusieurs pays musulmans.
Les raisons de la scission dans l’histoire musulmane – qui n’a pas lieu d’être – sont complexes. Pour comprendre cette complémentarité et combinaison de mon cursus personnel et professionnel, je me permets de faire un bref détour par mon itinéraire de vie. Cela va permettre de mettre en évidence la logique de cette formation pluridisciplinaire alliée à mes motivations personnelles.
En m’intégrant à l’école coranique traditionnelle dès le primaire, ma famille a choisi de me maintenir en même temps à l’école publique. J’ai réussi par la Grâce d’Allah à terminer l’apprentissage du Coran (calligraphie et règles de lecture) à l’âge de 13 ans, tout en réussissant parallèlement mes études en scolarité normale.
Au moment de l’orientation au collège, alors que j’avais une préférence et des aptitudes à la fois littéraires et scientifiques, ma famille a voulu que je poursuive des études mathématiques, tout en continuant mes études théologiques. Mon père, professeur de philosophie et pensée islamique m’a beaucoup enrichi dans ce domaine.
Arrivé en France à l’âge de 17 ans dans le cadre d’un regroupement familial, j’ai alors obtenu mon baccalauréat scientifique, « Spécialité Maths » dans l’objectif de poursuivre mes études dans ce même domaine à l’université, tout en exerçant en tant que jeune imam dans la région. Je n’oublie jamais l’aide, le conseil et l’accompagnement de mon Professeur Sheikh Ahmed Ali El Habti – érudit et imam depuis 35 ans en France- depuis mon arrivée en France.
Cet exercice de l’imamat avec ses contraintes dans un contexte laïc, – me confrontant très jeune à des problématiques sociales et familiales de la communauté – va me pousser à changer d’orientation universitaire, et à me spécialiser en Sciences Humaines, et plus précisément la psychologie, ceci jusqu’à l’obtention de mon doctorat à Paris.
En effet, malgré l’obtention de plusieurs ijazas « diplômes avec chaîne de transmission » (fiqh, Coran, sira,etc..) dans le domaine des sciences théologiques, j’ai compris que celles-ci, ne suffisent isolément pas. La pédagogie, la connaissance du développement psychologique de l’être humain et parfois ses écueils, la sociologie, l’Histoire sont nécessaires pour remplir la complexe mission d’imam et échafauder une pensée religieuse profonde, qui soit adaptée aux besoins des musulmans vivant dans le contexte européen.
Après plusieurs années d’imamat, j’ai été désigné comme « Recteur » d’un centre culturel et cultuel à Strasbourg. L’exigence d’une telle responsabilité m’a poussé à engager des études en « Droit et sociologie des religions » à la faculté de Droit de Strasbourg et envisager ensuite un diplôme de « chef de projet en Économie Sociale et Solidaire » à la faculté des études politiques à Paris.
Après cette riche expérience qu’il m’a été donné de vivre, j’ai voulu entamer une carrière académique, en menant une autre expérience inédite en tant que chercheur et Professeur à l’Université.
Mais la Volonté d’Allah m’a amené vers cette destinée en tant que Chef de culte au Luxembourg. Pour répondre brièvement à la deuxième partie de votre question, cette formation polyvalente est indispensable pour une profession et mission de « Chef de Culte » exigeant de la réflexivité, de la réactivité et de la flexibilité au quotidien face aux nombreux défis de notre temps. L’action d’un Chef de culte doit reposer sur une savante architecture, bien élaborée, cohérente et efficace. Toutefois, comme disait Alija Izetbegovic -rahimaho Allah-: « Pour être l’enseignant du monde il faut être l’étudiant des cieux ».
Quant à l’aventure du savoir, de la connaissance en tant que chemin du paradis, elle ne doit pas s’arrêter, comme disait l’imam Chafiî -rahimaho Allah-: « A chaque fois que j’avance dans la science, je découvre ma propre ignorance ».
Afin de trouver la posture professionnelle adaptée dans une fonction innovante dont on admet la complexité, il est nécessaire de tester différents styles de communication par exemple, essayer différentes méthodes d’entrée en contact ou en relation, s’adapter aux incertitudes de la création d’un travail de réseau, mobiliser les divers acteurs. etc…
L’inflation, la multiplicité et l’enchevêtrement des objectifs de parfois contradictoires amènent le Chef de culte à prioriser ses actions en fonction des moyens humains et financiers. Il s’agit alors de relativiser des ambitions affichées au départ pour en adopter de plus modestes, pratiques et réalisables.
Concernant les savoirs-êtres, l’authenticité, l’empathie, l’écoute, la créativité, la disponibilité, la réactivité et le dynamisme sont des qualités nécessaires à l’exercice satisfaisant, honorable de la fonction de Chef de culte.
Il est évident que, en raison de son organisation particulière et de nombreuses autres caractéristiques et spécificités, au Luxembourg, la communauté musulmane ne ressemble guère aux communautés islamiques présentes dans les pays voisins – France, Belgique et Allemagne, et, autant que nous le sachions – du point de vue organisationnel, elle diffère de celles de la plupart des autres pays d’Europe occidentale. – D’après ce que vous avez pu observer jusqu’à présent, quels sont les atouts de la communauté musulmane au Luxembourg et, par ailleurs, ses faiblesses et ses défauts ?
Pour établir une comparaison objective, il faut que – comme on le dit en langage mathématique – le « tout doit être égal par ailleurs ». Or, le contexte socio-culturel, les politiques d’intégration de chaque pays européen et sa politique d’accueil des immigrés et donc l’histoire de l’arrivée des Musulmans, leur origine et leur nombre ainsi que la taille et la géographie du pays d’accueil ..sont autant de facteurs « parasites » comme – comme on le dit en jargon statistique – sont à prendre en considération avant de mener une comparaison.
Néanmoins, avec le recul nécessaire, il est possible de mettre en évidence et résumer les points forts de la communauté musulmane au Luxembourg sous différents aspects:
- L’unité des Musulmans au sein d’une structure unique.
Cette unité a été facilitée par
- la proximité culturelle,
- le nombre limité des centres islamiques
- l’exigence étatique d’avoir un interlocuteur en vue d’une reconnaissance de l’Islam
- la volonté sincère des Musulmans de s’unir pour relever les défis communs.
- L’indépendance affichée par rapport à toute forme d’ingérence étrangère et donc l’autonomie financière dégagée de toute influence extérieure dans la gestion des affaires cultuelles musulmanes au Grand-Duché.
A mon avis, c’est le point le plus fort. Car cette autonomie minimise de potentielles divisons internes et garantit la liberté des décisions internes à la Shoura et des associations affiliées.
- Une diversité culturelle (plus de 50 % de la population est étrangère) alliée à la petite taille (un peu comme une région en France) d’un pays étant de plus situé au carrefour de l’Europe constituent un véritable support à une organisation efficace de la communauté musulmane.
- L’absence d’un passé colonial dont les réminiscences peuvent compliquer le vécu des jeunes populations issues de l’immigration. La présence récente de l’Islam au Luxembourg, contrairement à d’autres pays, où vivent les 4ème, voire 5ème génération succédant aux primo-arrivants. En effet, dans d’autres états européens, les aïeuls constituaient la première génération de travailleurs immigrés, qui pensaient au départ réintégrer leur pays d’origine. Ils n’avaient donc pas imaginé une structuration ou une organisation pérenne de leur communauté.
- La politique d’accueil bienveillante du Luxembourg qui a su intégrer dignement et financièrement sa population étrangère. En effet, la prospérité du pays et l’ouverture du marché de travail, la politique familiale généreuse induisent que les Musulmans, tout comme les autres citoyens du Grand-Duché jouissent d’un cadre de vie convenable et respectueux de chacun.
En effet, par comparaison, on observe dans d’autres pays que le cumul des problèmes sociaux et économiques réveille des tensions diverses qui se cristallisent alors à travers l’identité religieuse.
- La volonté de l’État luxembourgeois de reconnaître les minorités religieuses, sans s’immiscer dans les affaires internes à chaque culte, en l’occurrence le culte musulman pour ce qui est relatif à cette interview.
Par ailleurs, l’intégration culturelle et la représentativité politique constituent certes un long chemin à parcourir au Luxembourg. Néanmoins, cette reconnaissance du Gouvernement en est le fondamental premier pas.
- La population musulmane luxembourgeoise, en majorité d’origine bosniaque au cœur de l’Europe a déjà vécu dans des contextes interculturels et connaît une organisation religieuse similaire. Elle réussit donc à mettre en œuvre des mécanismes psychosociaux d’adaptation et d’intégration en pays d’accueil.
- Un mode de scrutin associatif démocratique permet aux Musulmans d’élire au sein de la Shoura leurs représentants en toute liberté sur la base de la compétence et de la confiance. Ceci a pour conséquence positive que la Shoura peut disposer de représentants qualifiés en divers domaines ; ils sont en majorité des cadres aptes à apporter des propositions ou des réponses à la hauteur des besoins de la communauté et des enjeux d’avenir.
Il existe bien évidemment d’autres aspects constitués par les points à améliorer qui sont d’intéressants défis à relever.
Fin janvier 2015 a été signée, entre l’autorité suprême des musulmans – la Shoura et l’État de Luxembourg, une convention qui a permis à l’islam d’être officiellement reconnu au Grand-Duché. – Pourriez-vous commenter, en tant que chef de culte, l’importance de cette Convention ?
Je pense que cette reconnaissance est un véritable tournant de l’histoire des Musulmans au Luxembourg. Les Musulmans se sont battus depuis des années pour avoir une telle reconnaissance, après plusieurs promesses restées vaines. Néanmoins, Alhamdolillah, la persévérance et l’unité des Musulmans ont accéléré le processus de ce grand changement. Grâce à ce conventionnement, les Musulmans ont désormais une place reconnue, à égalité avec les autres cultes. Ils disposent aussi d’un financement qui leur permet de mieux répondre aux besoins du culte.
Cette évolution juridique du rapport de l’État aux religions, sous forme d’un régime semi-concordataire a permis au culte musulman d’asseoir sa légitimité.
Comment estimez-vous les activités et les efforts des imams au Luxembourg ? Êtes-vous satisfait de la coopération actuelle entre les imams ?
Il y a plusieurs profils d’imams, en fonction de leur expérience, leur compétence et leur dynamisme. Même s’il peut y avoir des relations personnelles entre les imams, ces relations ne sont cependant pas encore traduites en actions concrètes, ressenties par la communauté.
Nous avons commencé une expérience d’échange des imams, entre mosquées, et un programme en commun au mois du Ramadan lors du confinement, ce qui a été très apprécié par la communauté. Nous allons travailler sur des projets urgents comme l’aumônerie, registres de mariage, de naissance et de décès, la charte de l’imam. Le travail collectif est indispensable pour réussir, comme le dit le proverbe Africain que j’aime beaucoup : « Tout seul on va plus vite, mais, ensemble on va plus loin ». Nous devons être à la hauetur de ce beau message coranique “Et entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression » (Sourate 5 Al-Maida- Le Festin – Verset 2).
Les imams sont les locomotives du train. S’ils s’unissent, la communauté suivra ce mouvement. Pour générer et aider à croître un dynamisme puissant, il conviendrait de récompenser les belles initiatives portées par les imams. Mon but est de créer une collaboration riche et une coopération fructueuse entre les imams, en construisant des projets éducatifs d’intérêt commun financés par la Shoura.
Enfin, je crois à cette formule en or en psychologie du travail : exigence + reconnaissance = renaissance. Nous avons envers eux une exigence de qualité par rapport au travail de proximité de nos imams et nous devons leur garantir en contrepartie une reconnaissance à la hauteur de leur noble mission.
Nous n’ignorons pas que vous maintenez des contacts réguliers et une coopération étroite avec les représentants des autres communautés religieuses au Luxembourg. – Comment estimez-vous ces relations et quelle est leur importance pour la communauté musulmane au Luxembourg et la société en général ?
Effectivement, la fonction religieuse représentative de Chef de culte m’amène à entrer en contact régulièrement avec les représentants des autres cultes, qui m’ont exprimé leur satisfaction de cette nomination, car elle facilite désormais l’échange et le dialogue.
Les religions ont ici cette opportunité de cohabiter dans un espace démocratique qui offre à chacun(e) le droit d’exercer et d’exprimer sa foi dignement. Ce climat de confiance est donc la clef de voûte de toute relation constructive et durable. Nos relations sont en début d’élaboration et satisfaisantes, il nous faut encore les améliorer et les intensifier.
Nous nous retrouvons régulièrement et massivement lors des évènements culturels et interreligieux au niveau national.
Le dialogue interreligieux et interculturel entre citoyens d’un même pays ne peut être réduit à un choix passager, une pensée éphémère. C’est un engagement profond, durable. C’est la conviction d’une nécessité, conformément à nos enseignements religieux : « ô gens, on vous a créés d’un mâle et d’un femelle et on vous a fait des peuples et des tribus afin que vous vous entre-connaissiez ». Le respect mutuel et l’entre-connaissance sont essentiels dans nos sociétés plurielles et sécularisées.
A titre d’exemple, lors de la crise sanitaire, nous avons réussi à discuter ensemble, échanger au sujet de nos pratiques et avoir une position commune avant de nous réunir avec le Premier Ministre. J’ai aussi essayé au sein du Conseil Conventionné des Cultes – Haute autorité religieuse du pays – de proposer des projets de travail en commun, comme le sujet de l’aumônerie.
Ces relations sont importantes pour la communauté musulmane dans la mesure où l’islam peut maintenant disposer d’une voix unique et crédible s’exprimant en son nom, loin de toute caricature ou réductionnisme.
En effet, l’islam cristallise parfois des amalgames. Par conséquent, des fantasmes se réveillent souvent à propos de certaines réalités culturelles, ce qui mène alors parfois à des incompréhensions.
Notre présence au sein de la société est une façon de témoigner des valeurs nobles de l’islam et permet de lutter contre les préjugés et l’image ternie dans lesquels l’islam est trop souvent enfermé.
Nous ne pouvons pas ne pas aborder le sujet du COVID-19. En effet, nous sommes témoins du changement drastique des habitudes de la majorité des habitants de la planète en raison de la pandémie de coronavirus. Au Luxembourg, comme d’ailleurs dans la plupart des pays du monde, au début de la pandémie, les musulmans n’ont pas pu effectuer en commun les prières quotidiennes ni d’autres rites religieux collectifs. Les messages et conseils que vous avez adressés à cette occasion et que nous avons également publiés sur notre site, ont été très bien accueillis par nos lecteurs. – Quels sont vos commentaires concernant la réactivité de la communauté musulmane à la pandémie ? Du point de vue de la Charia, c’est-à-dire du point de vue religieux, les décisions de fermer toutes les mosquées étaient-elles pleinement justifiées ? Quel est le rôle des musulmans ou, plus précisément, quel est leur devoir – individuel et collectif, dans les situations de pandémies à l’instar de celle que nous sommes en train de vivre ?
Tout le monde mesure la gravité de la situation sanitaire que traverse actuellement le monde entier. Les mosquées, avec leur important rôle – et en premier chef – les imams, les comités associatifs durant cette crise méritent notre respect, notre admiration et notre reconnaissance. En général, le culte musulman a agi avec professionnalisme et sens des responsabilités dans ses rapports avec les autorités sanitaires et le pouvoir public durant cette crise.
Au sein de la Shoura, nous avons été exemplaires en ce qui concerne notre dialogue avec les pouvoirs publics au sujet des mesures sanitaires en vigueur et celles à mettre plus précisément en œuvre au regard de nos besoins cultuels. Nous nous réjouissons également de la qualité de la coordination avec nos associations affiliées.
Depuis le début de cette crise, en tant que Musulmans, nous avons témoigné de nos valeurs spirituelles et humaines, et ce à plusieurs égards :
– les associations musulmanes ont organisé des collectes de dons pour être au service des plus démunis notamment lors du mois de Ramadan.
– Les restaurateurs musulmans ont offert chaque jour pendant cette période, des milliers de repas au personnel soignant.
– En première ligne, dans les services de réanimation, on a compté et on compte encore un grand nombre de soignants musulmans, médecins et infirmiers, qui sauvent des vies.
– Des personnes, des entreprises, des associations mettent leurs talents (artistiques, culturels, religieux, techniques, organisationnels…) au service d’autrui pour aider à supporter le confinement, la maladie, le deuil.
– Notre plan de dé-confinement – salué par tous – a montré notre capacité d’adaptation face aux crises, notre potentiel d’organisation et notre réactivité au quotidien.
Au début de la crise, la décision de fermer nos mosquées a été certes difficile et douloureuse, mais, accepter le destin d’Allah avec espérance et confiance semble être une attitude spirituelle des plus dignes. Qui a imaginé que la Ka’aba – haut lieu sacré de l’Islam – puisse être un jour interdite aux pèlerins ? Nous avons vécu le mois du Ramadan dans le confinement, privés de nos mosquées, mais nous avons su nous adapter et ré-apprendre à vivre notre foi autrement. Notre Ramadan s’est avéré profondément spirituel, vécu en famille et recentré sur l’essentiel. Si les portes de nos mosquées sont restées fermées, les Portes d’Allah sont – elles – toujours ouvertes, en tout lieu et en tout temps : « Et la terre entière m’est accordée comme mosquée » disait le Prophète, que la prière et le salut soient sur lui. Nous ne doutons pas qu’Allah – par Sa Clémence – va nous accorder la récompense complète de nos actes de dévotions en fonction de nos intentions, comme si nous les avions effectués réellement à la mosquée, ainsi que l’attestent plusieurs hadiths prophétiques.
Sur le plan théologique, la décision de fermer les mosquées a été motivée par plusieurs arguments, en priorité celui de la protection de la vie humaine. Il faut souligner – à ce titre – que le droit canonique musulman est un système juridique complet, malléable et pratique. Il s’adapte aux cas et situations exceptionnelles, en accordant des dispenses et des dérogations spécifiques, conformément aux enseignements coraniques :
« Et il ne vous a pas imposé de gêne dans la Religion »
« Allah veut de vous la facilité et ne veut pas de vous la complexité »
« craignez Dieu autant que vous pouvez ».
Il y a d’ailleurs une grande théorie dans le Droit musulman: « le fiqh de la contrainte « Ad-Daroura » et le fiqh de la nécessité « Al Hajaa ». C’est une théologie de l’urgence qui se fonde sur un certain nombre de règles juridiques basées sur la souplesse, la fluidité et la levée de la gêne. Par exemple, en termes de priorité, la norme juridique préconise :
« la préservation d’un mal prime sur la réalisation d’un profit ».
De plus, toutes les prescriptions religieuses sont conditionnées par la possibilité de les réaliser, ainsi que sur l’aptitude et la capacité de les accomplir. Et si cette aptitude fait défaut, dès lors l’ordre devrait être soumis à l’allégement et à la facilité. Et il peut donc faire l’objet d’une invalidation globale ou partielle.
Dans ce cas, l’obligation est par évidence de préserver les vies pour éviter la propagation de la contagion. Ceci vaut particulièrement face au risque d’un nouveau foyer de contamination surtout dans nos lieux de prières qui sont les plus encombrés, les plus denses, dont les surfaces sont les plus exigües. Les moins aérés sont effectivement les plus exposés à la propagation de cette épidémie, suivant ce qui a été confirmé par l’Organisation Mondiale de la Santé et plusieurs experts et infectiologues du monde entier.
Enfin, notre rôle en tant que Musulmans (individuellement et collectivement) dans des situations de pandémies est de :
- Témoigner de nos valeurs spirituelles transcendantes, en faisant preuve de responsabilité, de solidarité et d’entraide. Soyons plus solidaires et plus humains. Pensons aux plus fragiles et aux plus démunis. Nous sommes tous dans ce navire au milieu d’une mer agitée et nous devons nous protéger et protéger les autres, en respectant les consignes sanitaires pouvant sauver des vies. Nos références religieuses regorgent de principes de précaution. J’ai déjà publié des articles rappelant ces principes religieux de prévention, importants principes fondamentaux qui se sont avérés indispensables lors de cette crise.
- La crise a eu et aura des conséquences dramatiques sur le plan économique et social. Face à la crise, le Musulman devrait être plus optimiste, plus paisible et plus serein, sans céder à l’angoisse et à la panique : « Dis : rien ne nous atteindra, en dehors de ce qu’Allah a prescrit pour nous. Il est notre Protecteur. C’est en Allah que les croyants doivent placer leur confiance » (Sourate « At-Tawbah », Le repentir, S.9, V.51).
- Évitons les discours apocalyptiques, trop moralisateurs et frustrants. Et faisons preuve de nuance, de lucidité et de justesse. Les gens ont besoin d’une parole douce, tendre et rassurante.
- Il faut tirer des leçons de cette pandémie : reconnaissons les Bienfaits d’Allah sur nous, apprenons de nos erreurs, soyons conscients de notre fragilité, revenons à l’essentiel, priorisons nos objectifs, rééquilibrons notre vie, occupons-nous de notre famille, apprenons l’humilité, etc…
Nous sommes témoins que la situation actuelle, marquée par la pandémie, a réussi à déstabiliser la société à plusieurs niveaux, ce qui, entre autres, a laissé libre cours à de nombreuses théories de complot. Le coronavirus, le réseau 5G, la vaccination, le lancement de satellites et bien d’autres sujets préoccupent une partie importante de la population de la planète. Nombreux sont ceux qui pensent que tous ces événements ne sont pas fortuits, mais qu’ils résultent des activités d’organisations secrètes dont l’objectif est de faire baisser la population sur la Terre ou bien de réaliser d’énormes profits. Malheureusement, il est évident qu’il y a beaucoup de musulmans qui perçoivent la situation actuelle de cette manière, à travers la théorie du complot. – Nous vous saurions gré de bien vouloir, en votre qualité du chef de culte mais surtout, en tant qu’expert en psychologie, nous faire part de vos commentaires sur ce phénomène.
Le Coranavirus est venu briser les illusions d’un monde ultramoderne et technicisé, il est venu saper le mythe d’une société industrialisée et a réveillé nos instincts de survie les plus naturels, voire primaires (psychologiquement parlant).
Il n’est pas étonnant dans ce cas que l’irrationnel puisse émerger pour donner des explications du monde. Au même titre que notre système immunitaire se défend en développant des globules blancs pour se protéger, notre psyché développe des stratégies de défense. La recherche en psychologie nous a montré que ces théories de complot et les fake news sont des mécanismes de défense parfois utilisés lorsque nous nous trouvons confrontés à une réalité angoissante que nous redoutons et nous ne parvenons ni à appréhender, ni à comprendre, ni à interpréter. Ce mécanisme psychologique de rationalisation du monde (rien n’arrive par hasard et tout est orchestré par des volontés, organisations et puissances cachées) change de version au grès de l’évolution de la situation (au départ un complot américain, pour devenir après chinois, etc…). Au-delà de sa fonction protectrice contre l’angoisse, la théorie du complot a la caractéristique d’être simple, facile à expliquer et à comprendre dans un monde incertain inondé d’informations contradictoires : cependant tous les événements ont une cause unique, ce qui donne une cohérence et une logique apparente à ce principe complotiste.
Théologiquement, comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, à l’ère de la télécommunication, soyons plus lucides, plus mesurés et plus vigilants face à la surinformation en permanence ! Il faut faire le tri, garder l’essentiel et faire preuve de discernement. Il faut toujours vérifier la fiabilité de nos sources d’informations, avoir l’esprit critique, jauger avant de juger, conformément à l’enseignement coranique : « Ô croyants ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur, de crainte que vous fassiez du tort à des innocents par inadvertance et d’en éprouver ensuite des remords » (Sourate « Al-Hujurât », Les appartements, S.49, V.6) !
Dieu nous met en garde contre cette attitude précipitée et pressée : « Et si une nouvelle leur est parvenue sécurisante ou faisant peur, ils ne se gênent pas pour la propager aussitôt. Et s’ils s’étaient référés au Prophète et aux gens du savoir, ils auraient su l’extraire de sa source » (Sourate « An-Nisâ’ », Les femmes, S.4, V.83) ! Le Prophète – que la prière et le salut soient sur lui – dit : « Il n’y a pas de mensonges pires que de rapporter aveuglément ce qu’on entend » !
Observons, analysons et relativisons ! Et gardons-nous de toute opinion arrêtée et de toute position figée ! Évitons de spéculer sur les domaines qui ne relèvent pas de nos compétences et demandons aux gens de la connaissance et du savoir. Référons-nous plutôt aux experts et aux personnes compétentes, dans tous les domaines religieux, médicaux, politiques, sociaux : « Et interrogez les gens du savoir si vous ne savez pas » (Sourate « Al Anbiyâ’ », Les Prophètes, S.21, V.7) ! J’ai l’impression que certaines personnes deviennent des apprentis enquêteurs, des pseudo-analystes et des religieux auto-proclamés !
La progression de la communauté islamique au Luxembourg est évidente – Un corps représentatif unique – la Shoura ; la signature d’une convention avec l’État ; ensuite, le recrutement d’un secrétaire général; le renouvellement constant des cadres des imams grâce au recrutement de deux nouveaux hafiz et la formation continue d’une partie des cadres déjà existants ; l’installation du siège de la Shoura à Kirchberg ; la création de la Fondation Waqf Letzebuerg et de l’Observatoire de l’islamophobie, et pour finir, votre prise de fonction – voilà des indices clairs prouvant qu’au Luxembourg, les musulmans vont progressant, ce qui laisse l’impression qu’il existe une certaine vision de développement parmi les responsables de notre communauté. – Dans ce contexte, à quoi pouvons-nous nous attendre – quels sont les projets auxquels la communauté musulmane de Luxembourg va se consacrer dans la période à venir ? Quels sont ces nouveaux défis auxquels vont être confrontés les musulmans de Luxembourg en tant que collectivité ?
J’ai soulevé lors de votre précédente question les atouts du dynamisme actuel du culte musulman au Luxembourg. Selon les endroits, certaines villes sont plus dynamiques que d’autres. Ce phénomène positif a été avéré également chez nos voisins musulmans lors de leur première installation en Europe. Le conventionnement comme signe de reconnaissance de l’Islam nous a permis de mieux nous structurer et nous organiser encore plus efficacement. Dès lors, ce dynamisme – que vous décrivez- est prometteur pour le culte musulman à condition d’élaborer une stratégie efficace pour l’avenir, en matière d’éducation et d’enseignement.
Pour ce faire, il y a des défis à relever collectivement, car tôt ou tard, nous serons confrontés aux problématiques de l’identité, à celles de la transmission éducative et à des conflits de valeurs inhérents à tout processus d’acculturation et d’intégration. Le défi, c’est d’anticiper cette évolution, en pensant dorénavant à mieux outiller nos imams, à former nos enseignants et à accompagner les parents dans leur mission éducative au quotidien. Il est important de créer des ateliers éducatifs tout public, d’organiser des séminaires réguliers au profit des cadres religieux pour mieux interagir avec un contexte de plus en plus complexe et exigeant. Lors de plusieurs réunions avec les imams, nous avons pensé à améliorer et à mutualiser l’enseignement religieux dispensé dans les mosquées afin de donner aux enfants et aux jeunes des bases communes saines et des clefs de compréhension de l’islam. Par ailleurs, il faut favoriser davantage la recherche et l’enseignement académiques sur l’islam et l’Histoire de la Civilisation musulmane.
Le dynamisme associatif reste à construire dans plusieurs domaines :
- favoriser le dialogue entre tous les acteurs du culte musulman afin de développer les échanges mutuels, la réflexion sur des problématiques communes concernant le culte musulman et la recherche d’orientations partagées. La Shoura pourrait organiser des rencontres, des séminaires et des colloques sur des thématiques diverses, dans un travail de proximité, associant tous les acteurs du culte musulman.
- Assurer une certaine proximité entre les centres islamiques du pays, une solidarité entre tous en refusant le nationalisme, le dogmatisme et l’égoïsme. Allah a fait de nous une seule communauté, qui a vécu dans la diversité culturelle dès le début de l’Islam. Forts de cet esprit et de cet exemple, nous ne pouvons donc que nous enrichir mutuellement. Des projets seront élaborés pour que chaque centre cultuel se transforme en projet expérimental relatif à un domaine précis, en fonction des besoins exprimés et des compétences localement recensées.
- Il faut plus de présence sur la scène intellectuelle, médiatique et sociale, à travers la participation active dans les affaires de la Cité. Les centres islamiques sont invités et encouragés à construire progressivement des relations de confiance dans leur commune et à développer le dialogue avec toutes les composantes de la société civile et avec les autres religions au niveau local. Par exemple, le projet Esch 2022 est une opportunité pour les Musulmans de cette ville. Il convient de s’en saisir.
- Penser la place des jeunes et des femmes dans le tissu associatif religieux en leur redonnant pareillement la place qui leur est dû, en termes de reconnaissance de leurs compétences et pouvoir d’agir.
- Repenser le statut de l’imam, comme une profession en pleine mutation. Pour rendre ce métier plus attractif pour les générations futures, on a besoin de définir un métier dont les contours sont actuellement trop flous, mieux l’encadrer et le rémunérer.
- Nous avons pour objectif d’élargir ces relations internationales afin de bénéficier de l’expérience de nos voisins et de les informer parallèlement de l’existence et du rôle de la Shoura au Grand-Duché de Luxembourg et en Europe.
Enfin, comme je viens de l’évoquer à plusieurs reprises, l’édification d’un Haut lieu représentatif du culte musulman dans les années à venir serait un projet incontournable. La recherche en psychologie sociale a incessamment démontré l’impact que peuvent avoir les caractéristiques physiques de l’environnement sur le comportement, la satisfaction, la productivité ou encore les interactions humaines.
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